lundi 12 février 2007

Allez donc rire chez les Grecs !


Deux philosophes Grecs se distinguent parmi ceux qui se sont penchés sur le rire : Platon et Aristote. Leur point commun : ils réprouvent et blâment le rire.
Pour Platon, dans Philèbe où Socrate s'adresse à Protarque à propos des plaisirs mêlés, il s’agit de la raillerie et du ridicule d’autrui, lesquels sont dûs au caractère envieux du rieur, l'envie étant "une douleur de l'âme". Le rieur tourne en ridicule celui qui est dans l’ignorance et l'illusion de ce qu’il est réellement : le pauvre qui se croit riche, le laid qui se croit beau ou le sot qui se croit sage, ce qui, soit dit en passant, est l'une des bases de la comédie depuis qu'elle existe. Ce rire est condamnable, mauvais, injuste quand il s’applique à nos amis mais, quand il concerne nos ennemis, il est alors légitime et bon. Platon, en outre, condamne le rire de ceux qui sont en garde de la Cité tels que les magistrats et les hommes responsables. "Qu'on représente donc des hommes dignes d'estime dominés par le rire est inadmissible et ce l'est beaucoup plus s'il s'agit des Dieux…" (allusion au "rire inextinguible des Dieux" décrit par Homère à la vue d'"Héphaïstos s'agiter dans la demeure"). Car ce rire dénote un manque de maîtrise de soi devant de simples mouvements convulsifs, il est indigne des hommes nobles et libres et, en plus, il est dangereux car il trouble les convenances sociales.
Pour Aristote également, le rire, par l’excès, le désordre, l’indécence voire l'obscénité, est un trouble-fête dans l’harmonie et la beauté des convenances auxquelles aspire l’homme libre de la Cité. Toutefois ce rire, qui existe aussi dans le drame comique, ne doit être ni douloureux ni dangereux ni nuisible et Aristote de donner l’exemple du masque comique, burlesque, informe et ridicule mais qui n’exprime aucune douleur.
Ainsi Platon et Aristote condamnent, l'un comme l'autre, le rire en ce qu'il a de laid et de dangereux par son caractère agressif, dégradant et subversif. Précisons, qu’à la différence du français, il y a en grec deux mots différents pour le verbe rire, selon qu’il s’agit du rire naturel ou du rire méchant, γελάω et κατα-γελάω. C’est, à l’évidence, du second dont parlent les deux philosophes.
Autant dire que n'aurait aucune grâce à leurs yeux le rire salvateur et ironique des chansonniers ou des Guignols de l'info ! Quant à nos hommes et femmes politiques qui n'hésitent pas à s'essayer à l'humour en se donnant en spectacle à la télévision dans des émissions de variété, Platon et Aristote ne leur accorderaient certainement aucun droit d'accéder aux responsabilités et de présider à la chose publique pour cause d'indignité !
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Philèbe, Platon
Le rire, Éric Smadja
Illustration : Platon et Aristote de Raphaël

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Max pour cette leçon d'histoire au demeurant bien instructive d'un point de vue philosophique ...
Faut-il s'attendre à une revue du Rire au cours du temps au fil des séances ? Qu'en pensait Bergson qui me semble-t-il a étudié ce thème ? Mais soyons rassuré : il y a bien eu des défenseurs du rire ?

 
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