Le rire d'Alcofribas Nasier
Ex-moine et médecin, cet illustre inconnu, non moins universellement célèbre, publia à Lyon en 1532 chez le fameux imprimeur Étienne Dolet un premier livre qui eut un très grand succès puis deux ans plus tard un deuxième ouvrage dont le héros n’est autre que le père du personnage principal du livre précédent. Ses deux héros sont des géants truculents, goinfres et débonnaires, qui n’ont rien de ces ogres cruels dévoreurs d’enfants, et leurs faits et gestes comme leur gloutonnerie sont au centre d’innombrables passages comiques où le burlesque rivalise avec la bouffonnerie, le grotesque et même la grivoiserie. L’auteur en question ne s’est jamais caché, du reste, de son intention avant tout de faire rire ses lecteurs. Ne l’écrit-il pas dans un Avis au lecteur du deuxième livre et ne fait-il pas l’apologie du rire quand, en bon médecin humaniste, il le prescrit comme une véritable médication et une hygiène mentale indispensable à la santé individuelle et collective par le plaisir qu’il procure, « cette vertu curative » du rire qu’il défend faisant, au passage, d’Alcofribas Nasier l’ennemi public numéro un des réformateurs rigoristes et austères de l’époque, Calvin en tête, qu’ils soient catholiques ou protestants ? Il faut dire que notre homme, en véritable électron libre, est allé jusqu’à mettre sur le même plan les bienfaits thérapeutiques des Chroniques de Gargantua et ceux de la Bible et de l’Évangile !
Mais voici ce qu’écrit notre moine défroqué dans son deuxième livre :
“Amis lecteurs, qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection;
Et, le lisant, ne vous scandalisez:
Il ne contient mal ne infection.
Vray est qu’icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire;
Aultre argument ne peut mon cueur elire,
Voyant le dueil qui vous mine et consomme :
Mieulx est de ris que de larmes escripre,
Pour ce que rire est le propre de l’homme.”
Ce court texte n’est ni plus ni moins qu’un extrait de LA VIE TRES HORRIFICQUE DU GRAND GARGANTUA PERE DE PANTAGRUEL.
Jadis composée par M. Alcofribas Nasier, abstracteur de Quinte Essence.
Livre plein de Pantagruelisme.
Car François Rabelais, que tout le monde aura reconnu, et Alcofribas Nasier ne sont qu’un seul et même personnage, le célèbrissime auteur des Horribles et Espouvantables Faicts et Prouesses du très renommé Pantagruel, roy des Dipsodes, fils du grant Gargantua et de la Vie très horrificque du grant Gargantua, père de Pantagruel, ayant dû publier ses deux premières œuvres sous un pseudonyme -un anagramme de son nom et de son prénom- en raison de la censure qu’exerça à son encontre La Sorbonne, alors faculté de théologie, pour cause d’obscénité.
1 commentaire:
il faut en tout cas reconnaitre que ce rire décrit des situations "indélicates" et loin d'etre raffinées ...
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