Plagiat
Si j’écris : « L’assemblage d’un certain nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus que je suis en train de suivre des yeux en identifiant des caractères est pour moi la cause d’une impression de vide causée par une occupation monotone et sans intérêt », je veux en fait tout simplement dire : « Le livre que je suis en train de lire m’ennuie. », mais je ne l’ai pas écrit car je me suis imposé une contrainte, celle de remplacer les principaux mots de la phrase par leur définition du dictionnaire au risque d’alourdir singulièrement ma phrase.
Ainsi ai-je fait de l’“oulipisme” en le sachant, et à ce titre je me suis comporté en plagiaire. Mais j’aurais pu aussi le faire sans le savoir, si je n’avais jamais entendu parler de l’Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle), né en 1960 à l’initiative de l’écrivain Raymond Queneau et du mathématicien François Le Lionnais dans le but de fonder un groupe de recherche et d’expérimentation de l’écriture par l’utilisation de structures ou contraintes formelles qui, en s’imposant aux auteurs, leur permettent, de produire des œuvres fondamentalement originales. Exemple de contrainte fameuse : écrire un roman sans la lettre E, ce que fit Georges Pérec dans La disparition.
Mieux, en supposant que j’aie vécu au 19ème siècle et que j’aie eu cette même idée de contrainte de remplacement de mots, je me serais quand même rendu coupable de plagiat aux yeux des Oulipiens, et plus exactement de plagiat par anticipation ! En somme, les classiques et les poètes qui se sont imposé la contrainte de la versification ont été des Oulipiens sans le savoir avant même que l'Oulipo n’existe et ont ainsi commis, eux aussi, un plagiat par anticipation.
Même si les Oulipiens ne se revendiquent pas comme comiques, vous avouerez que cette idée de plagiat par anticipation ne manque pas de sel ! Noël Arnaud, l’un des membres fondateurs de l’Oulipo, n’a-t-il pas écrit : « La recherche de l’effet comique n’est pas notre but ; quand il est là, c’est par surcroît. Nous n’avons rien à voir avec le music-hall, mais nous ne sommes pas là pour emmerder le monde ! »
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Illustration : Raymond Queneau
1 commentaire:
question à l'artiste : mais alors cette méthode semblerait s'apparenter à un jeu, avec création d'un effet faitaisiste, voire "ludique" de l'écriture ou de l'expression, ou est-elle véritablement un art ???
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