mercredi 31 janvier 2007

Pince-sans-rire


Pour l’humoriste, rire ou ne pas rire pendant son spectacle et surtout de son spectacle, telle est la question. Il n'y a pas de réponse évidemment ni de loi encore moins de secret.
Toutefois quand le rire d'un comique ressemble à de l’autosatisfaction voire à de la vanité ou que son rire intervient, à l’instar de la méthode Coué, pour se persuader qu'il est drôle et que le public doit rire de son bon mot, on peut se demander si le rire de ce comique-là n’est pas tout simplement contre-productif pour ne pas dire exaspérant. Enfin peut-on imaginer Pierre Desproges se taper sur le ventre après avoir asséné un de ses aphorismes noirs ? Sans compter que le contraste entre le sérieux d’un comique et l’incongruité de son humour ne peut qu’amplifier ce dernier, tout en en faisant son essence. Voici à ce propos ce qu’écrit Giovanni Giacomo Casanova : « Pour faire pleurer les gens, vous devez pleurer vous-même. Si vous voulez les faire rire, vous devez garder un visage sérieux. ».
Il n’est pas donné, hélas, à tout humoriste d’avoir un humour dont il peut se permettre de ne pas rire lui-même. Pierre Dac et Raymond Devos ne rient jamais quand ils vous emmènent dans leurs histoires irrésistibles et abracadabrantes. C’est l’absurdité qui découle de celles-ci et le fait qu’ils se placent eux-mêmes au centre de cet absurde tout en en apparaissant comme les premières victimes –ce qui ne risque pas de les faire rire- qui déclenchent l’hilarité. Idem pour Charlie Chaplin et Buster Keaton. Pour rester parmi les plus grands.

lundi 29 janvier 2007

Zoo


Dans son Journal Extime, Michel Tournier rapporte l'anecdote d’un éleveur de moutons expliquant à la télévision qu’il avait rempli sa bergerie de bouquins car il adorait la lecture et qu’à ce titre il était un autodidacte. Et l’écrivain de broder brillamment sur la différence entre l’autodidactisme (ou autodidaxie) qui consiste à n’apprendre que ce que nous aimons et les études régulières, bien supérieures au précédent selon lui puisqu'elles consistent à tout apprendre et nous obligent ainsi à nous enrichir de connaissances qui nous sont « a priori indifférentes, voire antipathiques ». Mais au moment où je lisais la phrase de l’éleveur, je me suis d'abord demandé comment pouvaient bien cohabiter dans cette malheureuse bergerie des moutons et des bouquins, c’est-à-dire des lièvres, des lapins mâles et autres vieux boucs. Une véritable ménagerie, quoi !

samedi 27 janvier 2007

Vie conjugale (1)


Observez les couples qui s’installent dans une salle de spectacle. Quand ils sont jeunes, l’homme fringant investit la salle en vainqueur, suivi discrètement par son épouse qu’il dirige vers leurs places avec force et détermination. Quand ils sont vieux, la femme, les billets en main, trottine avec autorité vers les fauteuils qui leur sont réservés, talonnée de près par un mari rangé des voitures, inoffensif et docile comme un gentil toutou. De la maternité à la retraite, la femme, avec une patience d’orfèvre, prend le pouvoir dans le couple jusqu’au veuvage qui consacre enfin son absolu triomphe.

jeudi 25 janvier 2007

Le bug


Les bugs informatiques et les trous de mémoire ont en commun leur caractère aléatoire et imprévisible, l’arrêt momentané ou définitif du déroulement d’un programme préétabli et leur survenue au sein d’une structure parfaitement saine. Leur déclenchement est parfois lié à des interférences entre plusieurs éléments de cette structure. Pour un bug, cela peut être, chacun le sait, un logiciel incompatible qui perturbe un programme donné. Pour un trou de mémoire chez un artiste qui ne fait pas de l’improvisation et dont le texte est très écrit, la perturbation peut venir du trac, de l’émotion ou de la distraction qui se comportent comme de véritables inhibiteurs au point de lui faire oublier brutalement un texte pourtant parfaitement su, déjà joué et répété maintes et maintes fois. Mais souvent le bug comme le trou de mémoire demeurent parfaitement inexplicables. Ils surgissent, tel un grain de sable, sans qu’on les attende et sans qu'on les prévoie et, par-dessus le marché, au moment où on les attend le moins. Le déclenchement en est mystérieux, magique, cependant c’est de véritable magie noire qu’il s’agit pour ceux qui les éprouvent.
La similitude entre les deux pannes s’arrête là. Pour le bug survenant dans une structure au fonctionnement binaire, il n’y a ni pardon ni pitié. La machine informatique, impassible et froide, la plupart du temps ne repart pas, provoquant le courroux, l’énervement et l’impatience de ceux qui en sont la proie sans parler de l’angoisse fébrile et de la peur frénétique de connaître un incident aux conséquences à leurs yeux incalculables. On a vu des utilisateurs d’ordinateurs pris de rage ou de colères impressionnantes voire même de violence irraisonnée envers leur machine et le mobilier environnant. La résolution de la panne n’en est pas moins binaire et technique. Inutile de brutaliser l'ordinateur, point besoin non plus de le caresser dans le sens du poil ou de lui murmurer des mots gentils. Pas de sentiments.
Rien de tout cela dans le cas d’un trou de mémoire. C’est même tout le contraire. Lorsqu’un artiste en est victime, à la différence de l’ordinateur, il suscite chez les spectateurs compassion et sympathie et, chez lui-même, humour et modestie, même s’il se sait momentanément en grande difficulté. Et puis la plupart du temps, le public applaudit chaleureusement et hop ! comme par magie -une magie blanche et lumineuse cette fois- l’artiste retrouve les mots et le fil de son texte. Le trou de mémoire, à la différence du bug d'un système informatique, est un aléa poétique et tellement humain que la solution du problème se trouve tout naturellement dans cette alchimie du spectacle qui unit l’artiste et son public et dans cette communion enthousiaste des spectateurs entre eux -ne nous y trompons pas, c'est bien d'amour qu'il s'agit- et que ses conséquences en sont toujours paisibles et douces. Mais essayez d'expliquer tout ça à un ordinateur !

mardi 23 janvier 2007

Réparties, boutades et saillies


Rien n’est plus savoureux que des réparties succulentes -et parfois bien involontaires- venant de personnages qui n’ont pas bâti leur renommée sur l’humour, la fantaisie ou les mots d’esprit, même s'ils n'en sont pas totalement dépourvus.
Exemple : Pierre-Paul Royer-Collard (1763-1845), fils de riches laboureurs, avocat, grand orateur parlementaire et académicien. D’abord favorable à la Révolution et député à l'assemblée des Cinq-Cents, il en fut exclu car modéré au 18 fructidor. À nouveau député pendant la Restauration en 1815, il fut le porte-parole des Doctrinaires lesquels, pour la petite histoire, étaient les partisans d’une monarchie constitutionnelle et espéraient réconcilier la monarchie avec la Révolution. En 1827, il fut élu à l’Académie Française et son élection marqua le début de l'évolution de celle-ci vers les idées libérales.
Mais venons-en au fait et à sa boutade fameuse. Royer-Collard, académicien, s’opposa farouchement à ce que le néologisme vraisemblablement d’origine anglo-saxonne (se) baser sur (au lieu de (se) fonder sur) demeure dans le Dictionnaire de l’Académie, alors le plus révolutionnaire des dictionnaires, dans lequel le mot avait été admis en 1798 et, c'est à la suite d'une campagne obstinée qu'il parvint à l'en faire bannir en 1835. C’est justement à propos de ce néologisme que Royer-Collard, ne voulant plus revoir le mot dans le Dictionnaire, prononça cette phrase exquise digne de Sacha Guitry : « S’il entre, je sors ! » .

dimanche 21 janvier 2007

Rieuses, rieurs


Un comique sur scène doit évidemment mettre les rieurs de son côté. Les rieurs sont des hommes et des femmes qui ont un coefficient d’excitation humoristique très faible. Pour le dire autrement, il leur en faut très peu pour qu’ils rient et à gorge déployée s'il-vous-plaît ! Une simple grimace peut les faire s’étrangler d’hilarité au même titre qu’une poussière infime peut déclencher une suffocation dramatique chez un asthmatique. À l’opposé on trouve des personnes au coefficient élevé qui ne rient pas ou presque. Parmi ces dernières, vous avez celles qui ne vous trouvent pas drôle, celles qui sont maladivement coincées mais aussi celles qui rient intérieurement, sans la moindre manifestation extérieure de gaîté. Entre les deux, la grande majorité du public est disposée à rire pour peu que chacun de ses éléments n’ait pas l’impression d’être seul à le faire, une gêne que ne connaît jamais la première catégorie, celle des rieurs invétérés. À partir de là, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le même spectacle, joué dans les mêmes conditions de température et de pression, nonobstant les hypothètiques influences de la lune, fait un triomphe un soir et un bide le lendemain. Vous l’aurez compris, ce sont les rieurs qui font la différence. Il suffit que la proportion de rieurs dans le public soit trop faible et même à la limite qu’il n’y en ait pas du tout pour que la masse majoritaire des spectateurs, contaminée par les extrêmes, balance vers la minorité silencieuse qui, elle, n’est pas près de s’esclaffer. Inversement, si les rieurs sont en quantité suffisante –il suffit de trois à quatre rieurs pour un public de cinquante personnes, parfois moins-, les spectateurs touchés par la contagion se relâcheront dans une franche rigolade. À condition, toutefois, que l’artiste sur scène soit drôle. Une condition nécessaire mais hélas pas toujours suffisante.

vendredi 19 janvier 2007

Et vous trouvez ça drôle ?


C’est irrésistible. Avez-vous remarqué qu’un homme qui tombe les quatre fers en l’air porte toujours à rire ? Jean Cocteau dans La difficulté d’être rapporte deux théories philosophiques pour expliquer le mécanisme du rire dans une pareille situation. « Bergson, écrit-il, impute le rire cruel en face d’une chute à la rupture d’équilibre qui déshumanise l’homme et le change en pantin. D’autres philosophes contredisent sa thèse. Ils prétendent que l’homme, au contraire, habitué à son mécanisme artificiel, se dépantinise par la chute et se montre soudain tel qu’il est. C’est, disent-ils, cette brutale découverte de l’homme par l’homme qui excite le rire. ». Les débats sont ouverts.

mercredi 17 janvier 2007

Histoire vraie (1)

Quand j’étais petit et que je n’étais pas grand (comme dit la chanson), je me trouvais avec mes parents devant la vitrine d’un magasin de chaussures. C’était en début de soirée dans le centre de Lyon. La ville était déserte comme souvent à cette heure qui sépare la fermeture des bureaux et des magasins des premières rumeurs de l’activité nocturne. Je ne devais pas avoir dix ans, il faisait nuit et je n'ai pas le souvenir qu'il faisait froid. À côté de nous, un homme légèrement dégarni, grand et mince, sec et élégant dans son complet-veston gris – c’est ainsi que je le voyais avec mes yeux d’enfant- lorgnait comme nous vers les chaussures neuves. Soudain mon père, le reconnaissant, a dû lui dire « Bonsoir Monsieur Fernand Reynaud ! » ou quelque chose comme ça. Alors Fernand Reynaud se retourna puis, me désignant du doigt, lança à mes parents, à l'intonation près, exactement comme dans son sketch : « Bourreaux d’enfants ! ». _______________________________________

mardi 16 janvier 2007

La Fantaisie selon Sacha



« Tous comptes faits, écrit Sacha Guitry, je place la Fantaisie en tête des qualités humaines ». L’écrivain prend la peine de mettre une majuscule au mot « fantaisie » pour appuyer cette affirmation. Dans son argumentation, il explique ensuite que, au contraire de la Fantaisie, toutes les vertus –bonté, courage, probité- « se manifestent à peu près de la même manière chez tous les individus qui les possèdent…La bonté, par exemple d’un pharmacien ressemble à s’y méprendre à la bonté d’un fruitier…La probité d’un capitaine d’infanterie coloniale ne diffère pas de celle d’un fabricant de portemanteaux ». Les vertus n’ont rien de personnel, « elles nous ont été prêtées et nous devons les rendre intactes afin que d’autres puissent s’en servir après nous » à la différence de la Fantaisie qui, elle, « n’est pas un prêt, c’est un don…Elle est à ce point personnelle à chaque individu qu’il est impossible de la pasticher…elle naît, vit et meurt avec nous. ». Et Sacha Guitry de poursuivre plus loin : « …la Fantaisie se rencontre rarement chez les personnes qui en auraient tant besoin. Les auteurs gais, les humoristes, les comiques, en sont généralement dépourvus. ». Et pan ! Voilà qui donne à réfléchir. Sacha écrirait-il la même chose de nos jours ?

dimanche 14 janvier 2007

Ça chauffe Marcel !


Au début des spectacles de café-théâtre, il est coutumier, après l’extinction des lumières, de présenter brièvement l’artiste qui s’apprête à entrer en scène. Mais le but, pour le présentateur au bagout digne d’un camelot de rue, est surtout de mettre le public en condition, de créer l’ambiance, de mettre en branle les zygomatiques des spectateurs au cas où ils seraient un peu grippés, de dérider les pisse-froid, bref de chauffer la salle. Ça peut voler bas, ça ne donne pas forcément dans la finesse, ça peut même friser le niveau de la maternelle, du genre :
Le chauffeur de salle : « Alors vous êtes contents d’être là ? ».
Le public du bout des lèvres : « Oui !».
Le chauffeur de salle : « Oh mais vous êtes coincés ce soir. On ne vous entend pas. Alors je recommence. Vous êtes contents d’être là ?». Et le public obéissant de taper des pieds en hurlant à l’unisson un « oui » massif plein d’enthousiasme.
Le chauffage de salle, ça vaut ce que ça vaut mais ça marche. Sans doute parce que nous aimons parfois être traités comme des enfants.

vendredi 12 janvier 2007

Humoriste ou comique ?



Là encore, référons-nous aux dictionnaires. Humoriste : auteur de dessins, d'écrits comiques ou satiriques. Comique : acteur ou chanteur comique pour le Larousse ; auteur, interprète de sketchs drôles pour le Petit Robert. Avouons que la différence est mince. Et pourtant n'avons-nous pas tendance à ranger les artistes qui privilégient la farce -bouffons, pitres, clowns, mimes- parmi les comiques et ceux qui privilégient l'écriture et les mots d'esprit parmi les humoristes. Louis de Funès versus Pierre Desproges, en somme. La légéreté serait-elle réservée au comique et l'humoriste se prendrait-il la tête ? À coup sûr si l'on donne au mot humoriste son sens originel : personne d'humeur maussade. On connaissait le clown triste après le spectacle et voilà qu'on suppute, grâce aux dictionnaires, que l'humoriste est un triste personnage rongé par la mélancolie et le désespoir. Ce qui fut vrai au moins pour l'un des plus grands d'entre eux : Pierre Dac. Et je ne parle pas de la fin tragique du célèbre comique que fut Achille Zavatta.

mercredi 10 janvier 2007

Même pas mal !


Une petite blague de mon cru. Un médecin s'apprête à pratiquer une ponction de sinus. Tandis qu'il brandit un énorme instrument chirurgical particulièrement pointu et qu'il commence à le faire pénétrer dans la narine de son patient, ce dernier lui demande en frissonnant : "Docteur, est-ce que ça fait mal? ". Et le médecin de lui répondre sans se démonter :"Absolument pas. Depuis vingt ans que je fais ça, je n'ai encore jamais rien senti !". Ce médecin, c'était moi et il m'est réellement arrivé une fois de donner cette réponse dont, ensuite, j'ai fait une blague. De l'humour noir qu'on ne peut pas servir à tout le monde…surtout dans un cabinet médical !

mardi 9 janvier 2007

Le trac et l'ego


"Cette peur ou angoisse irraisonnée que l'on ressent avant d'affronter le public et que l'action dissipe généralement" (le Petit Robert), toucherait particulièrement, dit-on, les plus grands artistes et serait la preuve d'un immense talent. On raconte que Jacques Brel se vidait littéralement de ses boyaux avant d'entrer en scène. Mais cela n'exclut pas que le trac frappe autant, sinon davantage, les artistes dépourvus du moindre don. Pourquoi le trac ? La peur de faire un bide, la peur du ridicule lequel pourtant ne tue pas ? Pour le coup, c'est vraiment ridicule. Enfin a-t-on le trac avant de prendre le volant qui, lui, peut tuer beaucoup plus définitivement que le ridicule ? Certes non, mais c'est oublier que pour l'artiste, l'unité transcendentale du moi, c'est-à-dire l'ego, est en jeu. C'est un peu ridicule, non ?

samedi 6 janvier 2007

Ah ! Vous faites votre Devos ?


Il suffit d'assister à un seul de mes spectacles pour se faire une idée, sinon de mes maîtres ès humour ou de ceux qui m'ont inspiré, du moins du tiroir humoristique dans lequel on peut me ranger. Alphonse Allais, Pierre Dac, Pierre-Jean Vaillard, Maurice Horgues, Raymond Devos, les Frères Ennemis, Roland Topor, Pierre Desproges, sans oublier, pour certains textes, l'illustre Rabelais, occupent des tiroirs très proches du mien (même si le mien n'arrive pas à leur hauteur !) et, par-dessus le marché, dans la même commode, c'est indéniable. Je ne cherche pas à les imiter. D'ailleurs je ne le pourrais pas. Et pour tout dire, rien n'est plus horripilant -mais aussi plus flatteur- que d'entendre un spectateur me dire à la fin du spectacle : "Vous avez repris des sketchs de Devos ?"

jeudi 4 janvier 2007

 
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