mercredi 28 février 2007

Rire(s) divin(s)


Sur le mont Olympe où ils résidaient, les dieux grecs ne s’embêtaient pas et en particulier ne se privaient pas de rire que ce soit Zeus hilare devant le spectacle de l’empoignade des Olympiens ou Athéna folle de joie quand elle déboîte les genoux d’Aphrodite devant Héra au sourire narquois après avoir frappé Arès d’un coup violent ou encore les dieux bienheureux pris d’un fou rire –le rire inextinguible dont il était question dans une note précédente- en voyant Héphaïstos, le dieu du feu, boiteux et ridicule, en train de s’empresser dans la salle à servir le nectar au cours d’un banquet, un même rire incoercible frappant les truculentes divinités lorsqu’elles voient Arès et Aphrodite pris au piège par ce même Héphaïstos, alors qu’ils se trouvent immobilisés tous deux dans une position intime plutôt gênante. Au panthéon grec, tout est prétexte à la lourde et cruelle rigolade - on ne peut pas vraiment parler d’humour - sans aucune limite de morale ou de bienséance et tout y passe : violence, sexe, difformités.
Quel contraste avec le tout puissant et austère Dieu des chrétiens qu’on imagine difficilement en train de rire ou tout simplement de sourire. Et même quand il s’est fait homme en la personne de Jésus, le Christ n’est jamais représenté hilare ni seulement souriant. Belle contradiction car Jésus, en tant que Dieu, ne pouvait pas rire alors qu’en tant qu’homme, il aurait dû rire puisque le rire est le propre de l’homme. Peut-être n’a-t-on pas voulu montrer le Christ en train de rire, même si on veut bien lui prêter le sens du l’humour, puisque le rire fut longtemps diabolisé et sévèrement condamné par le christianisme. Il était donc hors de question que Jésus rît.
Mais beaucoup d’eau du Tibre a coulé sous les ponts de Rome et l’avant-dernier successeur de Saint Pierre et chef de l’Église catholique, à la différence de ses prédécesseurs et de son successeur, ne s’est privé ni de rire ni d’humour et gageons que son extrême popularité et la sympathie qu’il dégageait n’y étaient pas étrangers. Sans doute parce qu’à l’instar des dieux grecs hauts en couleur, mais d’une manière bien différente et totalement opposée, il se montra ainsi profondément humain et terriblement proche des hommes.

dimanche 25 février 2007

L'humour d'E.M. Cioran


Emil Cioran (1911-1995) était dans la vie, dit-on, un homme plutôt gai et d'agréable compagnie, ce qui, en apparence, n’est pas un mince paradoxe pour l’auteur qui publia Sur les cimes du desespoir, De l’inconvénient d’être né et Syllogismes de l’amertume.
Pourtant ce moraliste et philosophe roumain mystique et hors de toutes normes, dont la lecture devrait logiquement conduire tout droit au suicide et qui porta la noirceur et le pessimisme à leur paroxysme le plus désespérant, ne se considérait que comme un plaisantin et n’était dépourvu ni d’humour ni d’autodérision.
Voici quelques uns de ses aphorismes les plus savoureux, glanés, certes, en cherchant bien et que l’on n’est toutefois pas tenu, pour certains, de prendre au premier degré :

Depuis 2000 ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé.
(Syllogismes de l'amertume)


Ma vision de l'avenir est si précise que, si j'avais des enfants, je les étranglerais sur l'heure.

(De l'inconvénient d'être né)

Un lieu que j’ai parcouru, je ne m‘en souviens que si j’ai eu la veine d’y connaître quelque anéantissement par le cafard.
(De l’inconvénient d’être né)

Ce corps, fidèle autrefois, me désavoue, ne me suit plus, a cessé d’être mon complice. Rejeté, trahi, mis au rancart, que deviendrais-je si de vieilles infirmités, pour me marquer leur loyauté, ne venaient pas me tenir compagnie à toute heure du jour et de la nuit ?
(De l’inconvénient d’être né)

Premier devoir, au lever: rougir de soi.

(Le mauvais démiurge)

Ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j'ai renoncé à faire ma toilette: à quoi bon se laver encore?

(Aveux et anathèmes)

vendredi 23 février 2007

Rire d'ennui


Assister à une pièce de théâtre conceptuel, c’est-à-dire une pièce sans intrigue, sans décor, sans costumes et sans jeu d’acteur au cours de laquelle vous est asséné sans la moindre finesse et de préférence au marteau-pilon (au cas où vous seriez trop bêtes pour comprendre) un discours au premier degré philosophique, politique ou social interminable et, brusquement, à la suite d’une grimace furtive d’un des comédiens (qui serait passée totalement inaperçue dans une comédie), voir le public éclater de rire au point de laisser croire à l’auteur de la pièce, au metteur en scène ou aux acteurs que le public est non seulement acquis mais conquis, sans même que ceux-là n’aient réalisé que ce rire sans plaisir et sans joie s’est déclenché par simple décharge énergétique réflexe, par instinct de survie, par détente rendue absolument nécessaire par l’ennui mortel et la torture de se trouver pris au piège par des détenteurs de vérité, et puis applaudir généreusement à la fin du spectacle pour les mêmes raisons auxquelles s’ajoute l’allégresse parce qu’enfin la pièce est finie.
Rire et applaudir, histoire de faire croire que la bande qui vous a servi ce spectacle est une bande de génies et que le public n’est qu’une bande de gogos !

mardi 20 février 2007

Humour et postérité


Deux aphorismes personnels totalement dénués d’humour :

S’imaginer qu’on va laisser son nom dans l’histoire suggère qu’on ne possède pas la plus élémentaire notion ni de l’espace ni du temps.

Vouloir laisser son nom dans l’histoire, c’est un peu comme espérer imprimer la marque de ses pas sur la surface d’un océan.


Ce qui est en revanche particulièrement comique, c’est qu’il y ait toujours eu des hommes qui aient aspiré à l’immortalité.
Un exemple banal parmi d'autres : l’un de nos anciens présidents de la République, à présent décédé, a consacré une bonne partie de son énergie et de ses espérances à vouloir à tout prix laisser son nom dans l’histoire et cela sans rire et sans même réaliser ce qu’une telle ambition comportait d'éminemment ridicule et de dérisoire. Qu’on se souvienne de vous pendant cent ans ou même plusieurs millénaires comme Ramsès II, vous avouerez qu’à l’échelle de l’âge de l’homme apparu sur terre il y a je ne sais combien de millions de l’année ou du Big Bang, sans parler de l'impermanence des choses, c’est vraiment un rêve qui échappe à tout entendement et qui dénote, outre un manque de lucidité et de réflexion philosophique élémentaire, un narcissisme démesuré et un sens de l'ego pour le moins pathologique.
C’est pourquoi, de deux hypothèses l’une : soit ce chef d’État était d’une rare stupidité, soit il n’était pas dépourvu du sens de l’humour, c’est-à-dire de cette façon très particulière de dire des inepties plus grandes que soi-même en gardant imperturbablement son sérieux. Je crains hélas pour lui que son ambition ne fut pas de passer à la postérité en tant qu’humoriste.
Pour conclure cet article comme il a commencé, voici deux citations, non personnelles cette fois, à propos du désir d’immortalité :

Le souci de sa propre image, voilà l'incorrigible immaturité de l'homme

Milan Kundera-L’immortalité

J'aimerais mieux aller hériter à la poste que d'aller à la postérité.

Louis Auguste Commerson - Extrait des Pensées d’un emballeur

dimanche 18 février 2007

L'humour de Buzzati


Les nouvelles de Dino Buzzati (1906-1972) commencent le plus souvent comme des petites histoires gentillettes qu’on aurait presque envie de raconter à nos enfants le soir dans leur lit avant qu’ils s’endorment. Il n’y manque que le « Il était une fois » pour débuter la lecture de ce que nous imaginons être de ravissants contes bien ficelés ou d’agréables fables écrites pour nous plonger dans des rêves sympathiques et pleins de merveilleux.
Mais on s’aperçoit rapidement qu’en fait de rêves, Buzzati nous enfonce, à bas bruit et sans qu’on s’en rende compte, dans des cauchemars sans fond, au point que nous nous sentions, malgré nous, aspirés en même temps que ses héros par le vide, le temps interminable ou distordu, le vertige, les abîmes, le destin implacable, la chute irrémédiable et finalement la mort qui est au centre –ou plutôt au bout- de la plupart de ses écrits. Évidemment ce n’est pas rien ! D’ailleurs quand on leur parle de Dino Buzzati, certains de nos amis, nous disent parfois en se grattant la tête : « Ah oui ! Maintenant je me rappelle. N’est-ce pas cet écrivain sinistre qui ne parle que de la mort ? », en nous faisant comprendre avec condescendance et dédain que cet horrible auteur, qu'ils ont presque oublié, ne les a guère marqués ni enthousiasmés et surtout qu’il ne les a jamais fait rire. Voilà une façon de voir son œuvre qui n’est pas la mienne. Car si le nouvelliste attitré du Corriere della Sera pendant plus de quarante ans revient sans cesse sur la mort, c’est toujours avec une légèreté, un détachement et un humour qui vous rendrait la perspective du trépas presque agréable pour ne pas dire des plus désirables.
Prenons l’exemple d’une de mes nouvelles favorites –peut-être par déformation professionnelle- Les sept étages (I sette piani) que Camus adapta au théâtre en 1956 (Un cas intéressant) et qui me semble emblématique de la philosophie et de l’humour buzzatiens. C’est l’histoire d’un brave homme, Giuseppe Corte, qui arrive tout guilleret avec sa petite valise dans un hôpital ultra-moderne de sept étages où les malades sont regroupés par niveaux selon la gravité croissante de leur état, les moribonds se trouvant tout en bas au premier et les patients les moins atteints au dernier. La maladie de Giuseppe Corte est tellement bénigne qu’il est hospitalisé au septième étage, celui où on ne soigne guère que des patients quasiment bien portants. Mais notre homme va connaître une véritable descente aux enfers, passant inexorablement d’un étage à celui qui lui est immédiatement inférieur avec l’aggravation subreptice de son mal, malgré ses protestations pathétiques et les allégations rassurantes et non moins rationnelles des soignants, pour se retrouver finalement au premier dans sa dernière chambre où, à l’instant fatal, « les volets roulants, obéissant à un ordre mystérieux, descendaient lentement, fermant le passage à la lumière ». Racontée comme ça, cette nouvelle n’apparaît pas très humoristique, elle serait plutôt de nature à nous déprimer, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est que l’humour de Buzzati, dans cette histoire comme dans toute son œuvre, n’est pas à chercher dans des rebondissements, des jeux de mots, des comiques de répétition, des effets de surprise, des gags ou des pitreries, bref dans toutes les ficelles habituelles du rire. Il est dans le ton d’abord, un ton gai sans lamentation plein de légèreté et de cocasserie, mais il se trouve surtout dans un constat métaphysique, celui de la situation fondamentalement humoristique et ridicule dans laquelle se trouve placé, malgré lui, l’être humain, véritable dindon de la farce, en proie à ses angoisses existentielles et à l’absurdité de son destin qui le conduit irrémédiablement, quoi qu’il fasse et quoi qu’il pense, vers la mort.
C’est pourquoi la lecture –et la relecture- des nouvelles de Dino Buzzati dont la noirceur désabusée plonge certains lecteurs dans le désespoir et le désarroi en les faisant plus que grincer des dents, quant à moi, au contraire, me fait toujours rire à chaque mot par leur ironie amère et, loin de me désemparer et de me faire tomber au trente-sixième dessous, m’enthousiasme toujours au plus haut point.

mercredi 14 février 2007

Vie conjugale (2)


Les hommes qui aiment leur femme comme leur chien ne sont pas très éloignés de l’amour vrai.

Les hommes qui aiment leur femme comme leur voiture ont une âme de concessionnaire automobile.
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Aphorismes personnels

lundi 12 février 2007

Allez donc rire chez les Grecs !


Deux philosophes Grecs se distinguent parmi ceux qui se sont penchés sur le rire : Platon et Aristote. Leur point commun : ils réprouvent et blâment le rire.
Pour Platon, dans Philèbe où Socrate s'adresse à Protarque à propos des plaisirs mêlés, il s’agit de la raillerie et du ridicule d’autrui, lesquels sont dûs au caractère envieux du rieur, l'envie étant "une douleur de l'âme". Le rieur tourne en ridicule celui qui est dans l’ignorance et l'illusion de ce qu’il est réellement : le pauvre qui se croit riche, le laid qui se croit beau ou le sot qui se croit sage, ce qui, soit dit en passant, est l'une des bases de la comédie depuis qu'elle existe. Ce rire est condamnable, mauvais, injuste quand il s’applique à nos amis mais, quand il concerne nos ennemis, il est alors légitime et bon. Platon, en outre, condamne le rire de ceux qui sont en garde de la Cité tels que les magistrats et les hommes responsables. "Qu'on représente donc des hommes dignes d'estime dominés par le rire est inadmissible et ce l'est beaucoup plus s'il s'agit des Dieux…" (allusion au "rire inextinguible des Dieux" décrit par Homère à la vue d'"Héphaïstos s'agiter dans la demeure"). Car ce rire dénote un manque de maîtrise de soi devant de simples mouvements convulsifs, il est indigne des hommes nobles et libres et, en plus, il est dangereux car il trouble les convenances sociales.
Pour Aristote également, le rire, par l’excès, le désordre, l’indécence voire l'obscénité, est un trouble-fête dans l’harmonie et la beauté des convenances auxquelles aspire l’homme libre de la Cité. Toutefois ce rire, qui existe aussi dans le drame comique, ne doit être ni douloureux ni dangereux ni nuisible et Aristote de donner l’exemple du masque comique, burlesque, informe et ridicule mais qui n’exprime aucune douleur.
Ainsi Platon et Aristote condamnent, l'un comme l'autre, le rire en ce qu'il a de laid et de dangereux par son caractère agressif, dégradant et subversif. Précisons, qu’à la différence du français, il y a en grec deux mots différents pour le verbe rire, selon qu’il s’agit du rire naturel ou du rire méchant, γελάω et κατα-γελάω. C’est, à l’évidence, du second dont parlent les deux philosophes.
Autant dire que n'aurait aucune grâce à leurs yeux le rire salvateur et ironique des chansonniers ou des Guignols de l'info ! Quant à nos hommes et femmes politiques qui n'hésitent pas à s'essayer à l'humour en se donnant en spectacle à la télévision dans des émissions de variété, Platon et Aristote ne leur accorderaient certainement aucun droit d'accéder aux responsabilités et de présider à la chose publique pour cause d'indignité !
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Philèbe, Platon
Le rire, Éric Smadja
Illustration : Platon et Aristote de Raphaël

samedi 10 février 2007

Risible


Quand un chien glisse sur de la neige et se retrouve ventre à terre, cela ne nous fait pas rire. Tout au plus sourions-nous par compassion pour l’animal ou parce que nous le trouvons mignon. En revanche si c’est un homme qui tombe, notre premier réflexe est de rire parce qu'il nous apparaît ridicule. Bergson décrit les mêmes réactions selon qu’il s’agit d’un robot ou d’un individu distrait en train de lire son journal qui se cogne contre un lampadaire. L’effet de surprise est pourtant le même. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que le risible est humain et seulement humain. Nous ne rions pas de la nature si elle est capricieuse, encore moins quand elle nous surprend, et si nous ne trouvons pas l’animal ridicule, c’est que nous le considérons comme innocent et naturel. L’homme ne l’étant pas à nos yeux, nous n’avons pas de pitié pour ses imperfections dans sa raideur sociale et sa mécanique conventionnelle parfaitement prévisible et stéréotypée. Ainsi une pierre qui dévale une pente en provoquant une série d’évènements en cascade n'est jamais risible sauf si c'est un homme qui est à l’origine de sa chute par sa maladresse, sa distraction ou sa bêtise. C'est la pierre qui nous fait rire mais c'est de l'homme dont nous rions. Et si, par-dessus le marché, c'est justement en tombant que cet homme déloge la funeste pierre, certains rieurs ont parfois une autre raison de s'esclaffer : cette réjouissance tristement humaine à la vue du malheur des autres. Tout ça pour dire que du rire naturel au rire bête et méchant il n'y a vraiment qu'un pas…

jeudi 8 février 2007

Dinner for one


Depuis plus de quarante ans, chaque année en Allemagne et en Autriche, un sketch anglais et en anglais de dix-huit minutes tourné en 1963 est diffusé sur pratiquement toutes les chaînes de télévision pendant la soirée de la Saint-Sylvestre, et parfois même plusieurs fois au cours de la même soirée, Dinner for one.
De quoi s’agit-il ? Pour son quatre-vingt-dixième anniversaire, comme à chaque anniversaire, Miss Sophie convie ses amis à partager son repas de fête, à savoir Sir Toby, l'amiral von Schneider, Mr. Pommeroy et Mr. Winterbottom. Le problème, c’est que ces quatre personnages sont tous morts et enterrés depuis longtemps. Le majordome de la nonagénaire, James, se charge donc de les remplacer et, ne se contentant pas de servir les mets et surtout les vins, il porte un toast et trinque avant chaque plat à la place de chacun des regrettés convives. À la fin du repas, comme on peut l'imaginer, il est ivre mort. James demande alors à Miss Sophie conformément à la tradition:
- The same procedure as last year, Miss Sophie ?
- The same procedure as every year, James ! répond Miss Sophie.
Et le majordome emmène tant bien que mal Miss Sophie par l’escalier et on devine qu’ils vont jusque dans sa chambre…
Cette petite comédie tournée en public sur une scène de théâtre est un véritable chef d’œuvre d’humour et vaut absolument le déplacement outre-Rhin pour le réveillon. Parmi tous les gags du sketch fondé sur le comique de répétition, le claquement de talons façon militaire toujours plus douloureux et surtout le trébuchement itératif sur le tapis en peau de tigre. Chaque fois, en effet, que James ramène la bouteille de vin vide après avoir fait le tour de la table et avoir bu pour quatre, il trébuche sur la tête de tigre, ce qui déclenche bien sûr l’hilarité. Mais quand, à la fin du repas, contre toute attente, il l’évite soigneusement alors qu’il est complètement saoul, les rires redoublent encore plus. Car la mécanique humoristique s’est inversée et c’est le comportement normal auquel on ne s’attend pas qui devient subitement anachronique et irrésistible.
Dinner for one ou Der neunzigste Geburtstag, une tradition allemande inoxydable et un must de l'humour anglais pour parler français !

Dinner for one de Lauri Wylie (1880-1951) avec Freddy Frinton (1909-1968) et May Warden (1891-1978)

mardi 6 février 2007

Aphorismes


Garder, pendant l'amour, sa montre et ses chaussettes dénote, outre une faute de goût, un penchant prononcé pour les accessoires.

Garder sa montre pendant l'amour ne se justifie guère que lorsqu'on approche d'une gare où l'on a une correspondance.

(Aphorismes personnels)

dimanche 4 février 2007

Le rire de Sarah


Imaginez qu’on annonce à une vieille femme de quatre-vingt-dix ans qu’elle va devenir mère. Il y a fort à parier qu’elle va pouffer de rire tant cette annonce est extravagante et invraisemblable. Et la surprise sera encore plus grande si d'aventure la prophétie se réalise un jour. C’est pourtant exactement ce qui arriva à Sarah, l’épouse d’Abraham. À celui-ci, Yahvé, au cours d’une apparition par l'intermédiaire de trois messagers, apprit qu’il allait devenir père. Abraham protesta en disant que c’était impossible, qu’il avait cent ans et que Sarah, non seulement stérile et sans matrice mais en plus ménopausée, en avait quatre-vingt dix. Quelques temps plus tard, Yahvé apparut alors sous la forme de trois anges à Sarah sous la tente d'Abraham et lui annonça qu’elle allait devenir mère. Celle-ci se mit à rire ouvertement d’un rire joyeux devant Dieu. Un an plus tard Sarah enfantera d'Abraham un fils qu'on appelle Isaac, en hébreu yiSHaq, qui a ri. Par la suite Sarah niera par peur devant Yahvé avoir ri. Yahvé feindra de la croire puis lui dira : « Mais si, tu as bien ri. ».
Le rire de Sarah : un rire bon enfant devant l’incongruité d’une prédiction et la peur de l’assumer devant Dieu exactement comme un élève, pris en flagrant délit par le maître, qui dirait à ce dernier en protestant : « Mais non, M’sieur, j’ai pas ri. ». Un rire naturel, brave, spontané et finalement innocent, tout le contraire du rire méchant. Que Dieu lui pardonne !
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"Sarah laughs" de Phillip Ratner, Virtual Israel Bible Museum

vendredi 2 février 2007

Humour et tragédie


Vu la semaine dernière Bérénice de Jean Racine brillamment jouée par un seul comédien, Jean-Marc Avocat, au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon. Plus de 1500 vers -1506 exactement- et tous les rôles pour un seul homme, y compris bien sûr celui de la reine de Palestine. Ni décors, ni costumes. Durée 2 h 10. Pas le moindre trou de mémoire. Un jeu extraordinaire. Une performance. Mais l’occasion aussi de constater une fois de plus combien la tragédie classique, qu’elle soit racinienne ou cornélienne, est un monument de non-humour. Certes c’est le genre qui veut ça. Et comment rire d'ailleurs de ces héros tragiques qui n’ont pas de corps ou en tout cas n'en ont pas le souci et qui, comme l’écrit Bergson, « ne mangent pas, ne boivent pas, ne se chauffent pas… même autant que possible ne s’assoient pas » ? Et le philosophe de citer Napoléon qui « avait remarqué qu’on passe de la tragédie à la comédie par le seul fait de s’asseoir ». À voir. N’empêche, que le héros soit assis ou pas, une telle absence d’humour dans les tragédies de nos classiques, c’est, en exagérant à peine, à mourir de rire !

 
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