
En 47 av. JC, après qu’il eut vaincu Pharnace II, roi du Bosphore Cimmérien, Jules César écrivit au Sénat la phrase mémorable : Veni vidi vici (je suis venu j’ai vu j’ai vaincu). La phrase fut probablement écrite ainsi par le premier imperator, sans virgules entre les deux premiers verbes et les deux derniers ni point à la fin, puisque la ponctuation d’alors, qui comportait un équivalent de la virgule et le point final, était peu appliquée à l’époque des Romains. C’est précisément sur l’impact de cette phrase selon la manière de la ponctuer que portait le post du 6 avril 2005 du blog des correcteurs du Monde.fr animé avec humour par Martine Rousseau et Olivier Houdart, Langue Sauce Piquante (LSP), un blog dont j’ai été, pendant deux ans, l’un des visiteurs assidus avec des commentaires quasiment quotidiens. Voici justement le commentaire que je fis à propos de ce post. Peut-être vous amusera-t-il autant que cela m’a amusé de l’écrire ? Je le transcris directement depuis les archives de LSP par un copier-coller :
Je suis venu ; j’ai vu ; j’ai vaincu.
Impression d’une énumération laborieuse et monotone d’actions. Ces points et virgules donnent une impression de lourdeur et d’absence d’enthousiasme. César est péniblement venu (en se traînant ?). Il s’est résigné à voir ce qu’il y avait à voir (faute de voir autre chose de plus intéressant). Finalement il a fini par vaincre mais bien malgré lui et avec quelles difficultés !
Je suis venu… j’ai vu…j’ai vaincu.
Alors là, c’est plein de mystères. César est venu par surprise et sur la pointe des pieds, avec un tour dans sa poche (de sa toge) je vous dis pas! Il a vu des choses incroyables dont il ne vous dira rien, préférant vous laisser les imaginer. Nous sommes en haleine. Que nous cache-t-il avec ses points de suspension ? Et bien voyez le résultat imparable : il a vaincu.
Je suis venu ! j’ai vu ! j’ai vaincu !
Ha ! Ha ! elle est bien bonne ! César a eu le culot de venir. Oui il a osé et n’en revient pas de sa bonne idée. En plus vous vous rendez compte, il a vu des tas de choses, ça vous épate presque autant que lui, non ? Eh bien le résultat ne s’est pas fait attendre: il a vaincu. Et avec quelle facilité s’il vous-plaît ! Tout cela n’était vraiment qu’une partie de rigolade !
Je suis venu. J’ai vu. J’ai vaincu.
C’est sobre et sec comme une phrase de militaire. Il n’y a pas à discuter ni à sourciller, il n’y a pas de quoi fouetter un chat non plus. C’est comme ça. Pas besoin de fioritures pour exprimer la force de l’homme de pouvoir, peu soucieux de nuances et peu enclin à épater la galerie.
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Conseil de lecture : La ponctuation ou l’art d’accomoder les textes, Olivier Houdart et Sylvie Prioul - Édition du Seuil